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Les Amis de Dieu de Strasbourg
à l'honneur des 6e Rencontres européennes de Littérature



De gauche à droite : François Petry, Martin Adamiec, Rémy Vallejo, Jean Moncelon & Éliane Bouchery

Les Amis de Dieu à Strasbourg au quatorzième siècle

L’aventure spirituelle des Amis de Dieu de Strasbourg, au 14e siècle, reste principalement le fait de trois hommes :

Un frère dominicain, Jean Tauler († 1361), et deux laïques, un riche banquier strasbourgeois, Rulman Merswin († 1382) et un mystérieux maître spirituel (mort après 1380), connu sous le nom de l’Ami de Dieu de l’Oberland. Entre les trois hommes, partageant une même spiritualité héritée de Maître Eckhart, s’établirent des liens intimes ainsi que des relations de maître à disciple : Jean Tauler fut le confesseur de Rulman Merswin, l’Ami de Dieu de l’Oberland le guide intérieur du même Merswin, et peut-être aussi le maître anonyme qui convertit Jean Tauler… Au centre de ce triangle se trouve l’Ami par excellence, le Christ. Quatre œuvres majeures peuvent être recensées qui s’y rapportent : Les Sermons de Jean Tauler – dont une partie est apocryphe. Le Livre des neuf rochers de Rulman Merswin, mais qui fut longtemps attribué au bienheureux Henri Suso, le Livre du Maître qui raconte la conversion d’un frère prêcheur par un laïque, œuvre soit de Jean Tauler, soit de l’Ami de Dieu de l’Oberland, soit de Rulman Merswin. Enfin, le corpus des traités spirituels signés de l’Ami de Dieu de l’Oberland, mais qui pourraient être de la main de Rulman Merswin. Ce dernier corpus, qui demeure inédit, appartient au premier chef au patrimoine littéraire strasbourgeois et alsacien. Deux lieux, indissociables l’un de l’autre, pour des motifs spirituels, sont représentatifs de cette aventure : une communauté de laïques, un « refuge », l’Ile Verte – daz Grüne Woerth – animée à Strasbourg par Rulman Merswin. C’est le Bas-Pays, en relation avec l’ermitage de l’Ami de Dieu : l’Oberland, le Haut-Pays, que l’on peut situer en Suisse ou en Haute-Alsace, et dont l’histoire est racontée dans le Livre des cinq hommes. L’aventure des Amis de Dieu strasbourgeois, c’est, enfin, une énigme : l’Ami de Dieu de l’Oberland lui-même, tenu par les uns pour une pure invention de Rulman Merswin, née de son imagination, ou comme une « pieuse dissimulation » (Jean Devriendt), et par les autres pour un maître intérieur, présence cachée et invisible à tout autre que Rulman Merswin. Il est vrai que les documents manquent pour attester de manière certaine son existence historique. Pourtant rien ne s’y oppose : l’Ami de Dieu de l’Oberland fut un maître spirituel, recherchant l’anonymat, en accord avec sa spiritualité, toute d’intériorité, et dont on sait que la conversion rappelle l’expérience de saint Paul sur le chemin de Damas, lorsqu’il fut ravi au troisième Ciel (« Je sais un homme dans le Christ qui, voici quatorze ans – était-ce dans son corps, je ne sais ; était-ce hors de son corps, je ne sais ; Dieu le sait – fut ravi jusqu’au troisième ciel… »). Quoi qu’il en soit, la disparition de l’Ami de Dieu de l’Oberland, ou mieux encore son « occultation », en 1380, coïncidant, presque jour pour jour, avec la mort de sainte Catherine de Sienne, marque la fin d’un certain moyen âge – et de cette « mystique rhénane » dont les lumières n’en percent pas moins jusqu’à nous, aujourd’hui même.